Parole et Geste
En 1986, une première version d’association d’interprètes a vu le jour en Belgique francophone sous le nom de Parole et Geste. Durant cette année, les rencontres entre interprètes se sont multipliées sous l’impulsion de Brigitte et Christian François, interprètes de divers colloques et du journal télévisé, qui bénéficiaient déjà d’une reconnaissance de fait de la part de la communauté des Sourds.
Cette volonté de se rassembler provenait du profond malaise ressenti par les personnes faisant fonction d’interprètes en français/LSFB dans un moment où leur activité tendait à s’instituer en nouvelle profession.
En effet, en 1981, année désignée comme année des personnes handicapées, les Sourds ont pu faire connaître leurs revendications parmi lesquelles se trouvent la reconnaissance de leur langue et la mise à leur disposition d’interprètes pour leur permettre de participer pleinement à la vie en société.
Par ailleurs, suite au constat d’échec de l’enseignement orienté dans une perspective purement oraliste depuis un siècle, et en raison de la volonté d’intégrer un nombre croissant d’enfants sourds dans l’enseignement ordinaire, une série d’institutions scolaires commencent à employer des interprètes.
Historiquement, les personnes faisant fonction d’interprètes avaient un rapport direct avec la communauté des Sourds. Ils étaient soit parents, amis ou proches, soit professeurs, éducateurs ou directeurs d’école. Au fur et à mesure, certains d’entre eux, montrant un relatif niveau de compétences, sont encouragés par la communauté sourde et invités à interpréter de façon plus régulière.
Ces interprètes se retrouvent à entretenir des liens étroits avec la communauté sourde à travers leur activité et sont amenés à interpréter parfois dans la sphère privée des uns ou des autres sans avoir reçu de formation au préalable. Ils proposent leur service le plus souvent à titre bénévole parce qu’ils s’y sentent moralement tenus dans un contexte où la population sourde est confrontée quotidiennement à une société pensée pour les entendants.
Cette formation sur le tas a pris un essor considérable lors de la création de services d’interprétation français/LSFB à Bruxelles et en Wallonie.
En effet, le nombre d’interprètes était insuffisant. Aussi, les personnes qui endossaient ce rôle tant bien que mal ont subi une pression inconsciente de la part de la communauté sourde à se lancer tous azimuts dans une tâche à lourdes responsabilités alors que rien n’est mis en place pour les y préparer. La disponibilité horaire des personnes devient critère de choix et celui de la compétence est laissé pour compte. Les formations continues sont souvent un pis aller malgré la bonne volonté des services pour les organiser.
La création de ces nouveaux postes d’interprètes fait apparaître comme une évidence que ceux appelés à remplir ces fonctions doivent recevoir une formation adéquate pour répondre aux besoins de ce marché en pleine expansion.
C’est à ce moment de l’histoire que « Parole et Geste » a vu le jour. L’association se veut avant tout un lieu où les interprètes pourraient s’exprimer librement, mettre en commun leurs problèmes et y chercher des solutions, échanger leurs expériences et réfléchir à leur pratique. Ce lieu de rencontre s’avère d’autant plus nécessaire que les interprètes travaillent souvent de manière isolée. L’association a regroupé des interprètes de toute la Communauté française de Belgique, avec deux pôles plus importants à Liège et à Bruxelles. Outre les réunions, elle a utilisé comme moyen d’échange, d’information et de réflexion, la publication d’un journal bimestriel. Elle a aussi élaboré un code de déontologie.
Dès les premières années, elle s’est fixée des objectifs précis : la reconnaissance du statut des interprètes, l’information des utilisateurs, l’élaboration de programmes pour la formation de nouveaux interprètes et la formation continue des interprètes en fonction, la promotion de la reconnaissance des cours de langue des signes donnés par des professeurs sourds, la mise en place d’une évaluation, l’encouragement de la recherche.
« Parole et Geste » a régulièrement organisé des formations pour ses membres. Ces formations étaient essentiellement assurées par Brigitte et Christian François, mais ont aussi été parfois organisées en collaboration avec l’Institut libre Marie-Haps, de Bruxelles.
L’ABILS avant 2019
En juillet 1998 “Parole et Geste” devient l’ABILS (Association belge des interprètes en langue des signes). Elle se donne alors comme mission principale de professionnaliser le métier d’interprète français/LSFB, tout en restant un lieu d’échanges, de réflexion et de soutien pour ses membres.
Les premiers projets de l’association ont été la mise à disposition d’un nouveau code de déontologie, la diffusion du premier journal de l’association et la création du site internet. Le fer de lance de l’association était cependant la mise en place de formations d’interprète en langue des signes. En 2002, une première formation a été reconnue par la Communauté française, à l’Institut Saint-Laurent (Liège) et Fernand Cocq (Bruxelles). Deux promotions en sont sorties, en 2004 et 2006. Ne voulant pas en rester là, en 2007, l’ABILS a rédigé un argumentaire en faveur de la création d’une formation d’interprètes et de traducteurs en LSFB. Et c’est par l’impulsion de l’association que la première formation universitaire en traduction et interprétation français/LSFB voit le jour en 2014 en Belgique francophone.
En effet, une cellule de pilotage a été mise en place en 2013 en collaboration avec l’Université de Namur. Elle vise expressément la construction d’une formation inédite et d’en assurer la qualité et l’adéquation par rapport aux enjeux des professions d’interprètes et de traducteurs en français/LSFB. La première cohorte d’étudiant.es a pu s’inscrire à cette formation lors de la rentrée académique 2014-2015 à l’Institut Marie Haps. Suite au transfert des sections traducteurs-interprètes des hautes écoles vers les universités, l’Université Saint-Louis – Bruxelles (USL-B), l’Université de Liège (ULiège) et l’Université Catholique de Louvain (UCLouvain) intègrent la cellule de pilotage. L’ULiège a ouvert une formation de bachelier en traduction et interprète LSFB de septembre 2016 à juin 2020, les derniers diplômés de cette formation sont sortis en septembre 2023. Depuis la rentrée académique 2017-2018, l’UCLouvain propose les masters de spécialisation en interprétation de conférence en LSFB/FR et en traduction spécialisée LSFB/EN/FR.
Dans le cadre de cette formation universitaire, certains membres de l’association ont pris part à la rédaction du tout premier manuel consacré à la traduction de la Langue des Signes de Belgique francophone (LSFB) vers le français Du signe à la plume. Traduction de la langue des signes de Belgique francophone vers le français. Quelques pièges à éviter (François et al, 2017).
Destiné aux étudiants traducteurs et interprètes ainsi qu’aux professionnels actifs, ce manuel unique en son genre constitue un outil pratique d’apprentissage et de travail étayé de solides références théoriques et de nombreux exemples. Loin d’édicter des règles, il a pour ambition de susciter les bonnes pratiques en orientant les traducteurs en quête de balises théoriques tout en les aidant à déjouer les pièges traductifs spécifiques à cette combinaison de langues.
De façon plus générale, toute personne intéressée par les spécificités d’une langue visuelle, et de la LSFB en particulier, trouvera dans cet ouvrage matière à nourrir ses réflexions.
Outre la participation à la mise en place de cette formation, l’ABILS a poursuivi d’autres objectifs : action politique pour la reconnaissance du métier, participation à la CCLS, mise en place de la collaboration avec les services d’interprétation (SISW, SISB), les associations nationales (FFSB, BVGT, AIIC) et internationales (EFSLI, AFILS).
L’ABILS aujourd’hui
Aujourd’hui l’ABILS est une association de traducteurs.trices et d’interprètes certifié.e.s ayant la LFSB dans leur combinaison de langue de travail. Elle a pour but social, dans le pluralisme politique, idéologique et confessionnel, le développement et la promotion de la traduction et de l’interprétation en langue des signes.
Elle se veut toujours être avant tout un lieu où les traducteurs et interprètes peuvent s’exprimer librement, mettre en commun leurs problèmes et y chercher des solutions, échanger leurs expériences et réfléchir à leur pratique.
Une des missions principales de l’ABILS est aujourd’hui de soutenir, défendre et faire la promotion de la formation universitaire en traduction et interprétation français/LSFB. En outre, l’association a pour objet social notamment de : défendre et représenter la profession auprès du politique, du grand public et des institutions ; proposer un socle professionnel commun dans le respect des diversités des profils et des pratiques de chacun.e.s ; soutenir ses membres ; veiller à les informer de leurs droits et de leurs responsabilités.
L’ABILS est affilée au European Forum of Sign Language Interpreters (EFSLI).